Ghislaine Szpeker, psychologue clinicienne dans un Centre médico-psychologique nous donne sa perspective sur ce sujet délicat : comment donner une éducation féministe à nos enfants ? Qu'on le veuille ou non, que l'on soit parent d'un garçon ou d'une fille, le féminisme est un vrai sujet qui doit être abordé différemment de ce qu'il a été avec nos parents. Sans en faire trop, sans tomber dans l'extrémisme, il est possible d'inclure les enfants dans le changement de paradigmes concernant la place de la femme dans la société. Les réponses de notre experte, par ici !
Comment inculquer une éducation féministe à nos enfants ?
Ghislaine Szpeker: Il est indispensable de ne pas l’oublier : Les enfants apprennent par imitation. Les hommes et les femmes peuvent tout à fait être libres d’exercer leur autorité à leur manière. Il faut trouver un bon équilibre quand on forme un couple de parents - que ce soit un couple de parents femmes, un couple de parents hommes, que ce soit être monoparent - et garder à l’esprit que ce qu'on va transmettre, c'est quelque chose dont on n'a pas nécessairement conscience.
Il est essentiel que les parents transmettent leur propre idée sur le féminisme en se questionnant. Est-ce qu'ils parlent suffisamment des droits des femmes ? Est-ce qu'ils parlent suffisamment de leur propre expérience ?
Concrètement, comment fait-on ?
GS : Parler de soi enfant est un bon début. Souvent les parents expliquent comment était leur enfance, notamment dans la différence de traitement quand on était puni. On dit souvent “C’était une autre époque, une autre génération”. Je pense pour ma part que ce n'est pas uniquement une question de génération, on a fait beaucoup de progrès par rapport au droit des femmes. Je suis intimement convaincue que le droit des femmes est lié aux droits des enfants. Ainsi, l'atteinte au droit des femmes est intimement liée au droit des enfants. Les enfants et les femmes ont été considérés comme des accessoires. Aujourd'hui, la place des femmes, la place du féminisme vont de pair avec la place de l'enfant dans la société.
C'est-à-dire que si on a une attitude autoritaire, discriminante - autoritaire au sens prise de pouvoir sur un enfant - on va véhiculer des modèles, des informations, des croyances qui forcément vont dévaloriser les mères de ces enfants.
Avant Montessori début du 20e siècle, les enfants n'avaient pas de place, ils n'avaient pas de meubles, ils n'avaient pas de lieu où être dans la maison, il n'y avait pas de jouets etc… Les enfants étaient des accessoires, les femmes aussi. Les femmes avant les années 1960 n’avaient pas de compte en banque, de chèque etc…
Comment inclure le féminisme dans son éducation alors que dans les faits, les femmes assurent toujours la quasi-majorité des tâches domestiques ?
GS: La charge mentale repose toujours sur les femmes, encore aujourd'hui et je pense qu'il faut aider les femmes, il faut trouver des relais et du soutien : plus de crèches, plus de nounou, et surtout un congé paternité un peu plus long. Car franchement ce n’est pas suffisant. C'est formidable de pouvoir partager ces moments et c’est formidable pour les pères de pouvoir vivre ces moments.
Ça ne résout pas le rapport aux droits des femmes et aux nécessitées des femmes dans les premières années de la vie de leurs enfants. Elles sont débordées, d'autant plus que les familles aujourd'hui sont à distance. On n’a plus cette possibilité d'avoir des relais familiaux.
Et puis les grands-mères travaillent aujourd'hui, elles sont plus jeunes. Il y a vraiment des changements radicaux de société qui font que les femmes paradoxalement doivent subir beaucoup plus de charges : c'est vraiment là, la double peine du féminisme.
Le féminisme n'est pas une antinomie à opposer à la maternité, au maternage etc…
Le féminisme, doit inclure toutes les parties d'une femme, toutes les parts d'une femme.
Et par rapport aux enfants ?
GS: L'éducation, ça n'est pas un dressage, ni un rapport de force et ni une prise de pouvoir. L'éducation, c'est une voie de communication ouverte, qui aide les enfants à avoir confiance en la parole de leurs parents, pour qu’ils puissent parler d'eux, de leur histoire, de leur expérience. Les enfants sont absolument preneurs de ce qui se passe quand un parent explique qu'il a été lui-même enfant, parce que les enfants ne voient pas leurs parents comme d'anciens enfants. Les enfants voient leurs parents comme ayant toujours été grands.
Pour transmettre quelque chose à son enfant, pour le mettre en sécurité, pour donner une meilleure vision du monde, pour imaginer un monde meilleur où les hommes et les femmes vivront mieux, je pense qu'il faut parler de ce qu'on a connu soi, de ce qui nous a été difficile et de ce qu'on aimerait faire différemment avec nos enfants même si parfois on se trompe et qu’on n'a pas toujours les bons réflexes.
Il se peut que parfois, on fasse des choses un peu datées, il faut alors engager les enfants à en discuter avec nous, à relever les incohérences : “Pourquoi est-ce que c'est toujours maman qui fait la popote ? Alors que tu as dit que les hommes et les femmes avaient les mêmes droits ?”. Il faut que les enfants se sentent libres dans leur conseil de famille : une fois par semaine, une fois par mois pour dire ce qui leur semble étonnant ou incongru.
Et pour les ados et les plus grands, quand on parle de sexualité et de consentement, comment s’y prendre pour aborder le sujet ?
GS : Quand on parle de sexualité, de désir et de rapports de séduction… Il est évident que si à la maison, les parents ou le parent et les beaux-parents ou le parent et les amoureux ou les amoureuses, sont tendres et respectueuses, on n’a pas besoin d'en rajouter.
Dans des situations où l’histoire à été douloureuse - parents séparés, divorce mal passé, rapport homme femme écorché par des histoires dans la famille. Il faut absolument qu’un homme parle de la sexualité d'un garçon et une femme parle de la sexualité d'une fille.
Concernant la question de la sexualité et du respect des femmes, le désir d'une femme, comment s'y prendre : ce sont des questions que les enfants peuvent poser à un membre de la famille du même sexe. On ne peut pas poser ces questions-là à sa maman quand on est un garçon. On peut ne pas parler de sa propre sexualité avec son père si on est un garçon, mais on peut parler de la sexualité des hommes et expliquer le consentement.
Et puis on peut aussi dire qu’on ne se sent pas de parler de ces choses-là à ses enfants : on ne sait pas comment s'y prendre, on craint de mal faire, on a peur de ne pas savoir. Il faut trouver quelqu'un qui va être plus à l'aise pour évoquer ces questions : grand frère, grande sœur ou autre personne avec qui l’ado se sent en confiance.
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